• De la chevalerie

     

    Memento Moris

    Blason de Gueules à la croix tréflée d’argent

     

    DE LA CHEVALERIE

     

    A la gloire du Dieu Un en Trinité

    de l’Archange St Michel,

    des Sts Longin et Corneille

    des Sts Dimitrius et Mercurius

    et Georgius et Sébastianus

    et Mauricius

     

    Liminaire

    Ce n’est pas sans crainte que devant vous aujourd'hui j’aborde le sujet de la Chevalerie. Il est beaucoup plus facile d’en parler que d’en être. Les vicissitudes de l’humaine nature sont telles qu’il est plus facile de paraître que d’être et que souvent l’on parle ou écrit bien en théorie de ce que dans la pratique on vit mal.

     

    Vous avez dit Chevalerie ?

    De quoi parlez-vous en Vérité ?

    De quoi s’agit-il ?

    Sait-on seulement à quoi l’on fait référence ?

    La Cavalcade

    C’est un mot presque magique, il a traversé les siècles et les océans et encore aujourd’hui chez nous tous qui l’entendons, il éveille des aspirations et des nostalgies inavouées. Qui de nous, enfant bien né, n’a pas rêvé d’être le « chevalier » d’une cause, pour lors importante, qui de nous ne se trouverait-il pas honoré de recevoir un insigne qui, croit-il alors, lui donnerait droit au titre prestigieux de « chevalier ».

    Parmi nos jeunes gens, beaucoup se battent dans les sports ou dans des organisations de jeunesse sous l’ombre protectrice de la grande figure ancestrale que nous évoquons et dont nous chercherons à découvrir ensemble la réalité.

    Pour commencer, sommes-nous conscients de ce qu’est la chevalerie et le chevalier qui en est membre ? Qu’évoque pour nous la chevalerie ? Sommes-nous victimes des films, de la télévision, des bandes dessinées, des clichés des affiches ? Ou bien sombrons-nous dans la croyance qu’un « Chevalier » est un « Monsieur » pourvu d’une médaille ou recouvert d’un bel uniforme chamarré et adorné, un Monsieur dont la fortune lui permet de participer, sans risque, à des œuvres caritatives de bon aloi ?

    Croyez-vous que la chevalerie est un jockey-club, un super Rotary ou Lions’ club ?

    Si telle est votre croyance, vous seriez dans l’erreur la plus complète.

    Ce que n’est pas la chevalerie

    La chevalerie n’est pas un club de « seigneur » fut-il de la guerre, où se rassemblerait une aristocratie de « messieurs » dont les titres ne leur sont dus qu’en vertu de leur descendance d’ancêtres méritants, dont ils « descendent » trop souvent en moins bien (comme les expressions disent bien ce qu’elles veulent nous faire comprendre au-delà des apparences). Certes il est difficile de succéder à des grands, trop souvent ils oublient de se tourner vers les grands exemples de leurs ancêtres et ainsi de s’élever par leurs actes et non par leurs titres. Ce que, Dieu merci, beaucoup qui ne paraissent pas font dans leur for intérieur.

    Ce n’est pas non plus un « super-club » où certains jours de cérémonie on s’habille d’un uniforme dont le prix est aussi important qu’une voiture. Qu’on l’agrémente d’une cape, d’une couleur ou d’une autre, qu’elle soit pourvue d’une croix ou d’un autre insigne n’y ajoutera rien et en tout cas pas la chevalerie.

    Que sonne et reluise le tintement et l’éclat de métal de toutes sortes de médailles aux multicolores rubans ne mettra pas le moins du monde une once de chevalerie.

    Tous ces effets de cape et de médaillés en uniforme ou en habit qui font ressembler à des pingouins ne donneront que les apparences de la chevalerie, ne feront pas « être » chevalier. Tout ce que l’on peut en attendre est peut-être un peu d’étonnement chez les non avertis et un peu de ridicule pour ceux qui se sont déguisés ainsi momentanément mais de nos jours il y a longtemps que le ridicule ne tue plus !

    Dans le meilleur des cas, aux yeux de la bonne société, on pensera que ces signes décoratifs sont dus pour d’honorables services rendus, donc désignent des décorés mais pas des chevaliers.

    Comme l’écrivait il y a quelques années un de mes amis « s’il y a des chevaliers aujourd’hui, ils ne sont certainement pas dans les salons de Paris ou de Bruxelles… » et j’ajouterai dans ceux de n’importe quelle grande ville du monde ni dans le « virevolti » dans des effets de cape et le « cliquettement » de la quincaillerie de médaille mais « dans les bras pleins de poussière et de sang, là où les chrétiens souffrent au Moyen-Orient par exemple ».

    Défaisons-nous des illusions, la chevalerie est un idéal très haut, si haut qu’il est difficile de l’atteindre. Individuellement ou en groupe, cet idéal vers lequel tendent les efforts n’arrive à son apogée que pour entamer un autre déclin.

    D’aucuns ont écrit des livres comme « Le déclin de la chevalerie » d’autres « Des ordres de chevalerie », qu’est-ce à dire ?

    Vous connaissez tous les « boomerangs », vous connaissez tous son vol, il revient, s'il ne touche son but, à l’inverse de son lancement de départ. Ainsi en est-il de la chevalerie, comme elle n’a pas encore rencontré son but qui est la « Jérusalem d’en haut », où réside son Maître le Christ, le premier des chevaliers, périodiquement elle se dégrade et périodiquement il faut la relancer vers son but. L’histoire de la chevalerie elle-même n’échappe pas à cette loi d’entropie qui touche toute institution humaine en attente de la perfection définitive qui sera atteinte à la fin des temps.

    La chevalerie est un idéal ancestral lié à notre nostalgie d’une forme idéale, chaque siècle en eut sa forme et le temps passe.

    Aujourd'hui par la recherche historique, nous avons pu faire de notoires progrès dans la connaissance de ce mode de vie. Bien au-delà du travail toujours valable de Jean-Baptiste de La Curne de Sainte-Palaye[1], de ceux de Léon Gautier[2] et de Levray[3], Gustave Cohen[4] et Marc Bloch[5], Eyghein, Delander qui y furent nos maîtres.

    Quoi qu’il en soit, essayons aujourd’hui avec vous de faire le point comme on jette un regard en arrière sur un chemin parcouru, comme dans un moment de retraite durant lequel on essaie de préparer l’avenir.

    Maintenant, essayant d’éviter les parties trop techniques, nous parlerons de l’ordre de chevalerie en sa forme générale dite séculière, laissant pour un autre moment la forme particulière des ordres de chevalerie régulière.

    Nous l’aborderons par le biais de la tradition historique après le Christ et nous l’examinerons sur le plan de ses principes juridiques, de ses implications spirituelles, de son actualité aujourd’hui.

     

    La Chevalerie Ailée

     

    Le biais historique 

    « Du roi David et de ses preux homes vint notre chevalerie

    Qui le premier eut los et amor de clergie.

    Puis en Grèce à Sparte et Thèbes fut reçue

    S’en vint de Troies à Rome la chevalerie

    De Celtie reçu sa some

    Qui ore en Gaule est maintenue »

    (Dit du Prudhomme en chevalerie)

     

    Au-delà de la période du christianisme, que nous n’aborderons pas en détail aujourd’hui, nous savons par la tradition que « l’ordre chevaleresque » existait déjà chez les indo-celtes dont nous sommes peu ou prou issus.

    Nous citerons rapidement de mémoire les noms de quatre grandes familles : « le rameau rouge » de tradition celtique, les Courettes et Hypeïs de tradition grecque, les « eques romains » et les « preux de David ». C’est de ces divers rameaux ou fers à chevaux réunis que sont issus les premiers « MILES CHRISTIANI » dont le noyau est effectif dès 33 après J.C.

    Ces premiers « miles christiani » auront souvent à subir le martyre individuel et ils seront la sauvegarde de la communauté naissante, gardiens des reliques de la Passion et des Lieux Saints, procurateurs des « Saints » dont parle St Paul dans l’épître aux Romains (XII, v13). Tels seront les centurions Longin, Corneille, et d’autres comme Joseph d’Arimathie et bien sûr St Paul après sa conversion.

    Parmi les martyrs des deux premiers siècles, vous trouverez beaucoup de ceux-ci soutenant face aux idoles d’alors le dernier bon combat, celui qui leur fit remporter la palme.

    La première grande moisson eut lieu sous l’empereur romain Maximien vers 286-293, c’est celle des martyrs de la légion thébaine que commandait Saint Maurice.

    Ils versèrent leur sang dans le Valais suisse à Agaune où leurs restes sont encore vénérés, et la lance de St Maurice servit de palladium au royaume primitif des Burgondes, jusqu’à sa défaite sous St Sigismond devant les barbares venu du Nord.

    C’est vers 311 que se fixera une première fois les normes de l’éthique des chevaliers chrétiens. L’un de ceux qui en sera dans sa prime jeunesse (328) un fruit sera St Martin (316-396) dont nous aurons l’occasion de reparler plus d’une fois.

    En 477, le Maître de la Militum est un Burgonde chrétien, il est arien de confession, malheureusement il faut dire qu’à cette époque c’était l’opinion de la majorité dirigeante.

    Ce sera sous son fils Sigismond qu’une deuxième réforme se fera, elle s’effectuera entre 512-516 aux conciles d’Orléans et d’Epone et donnera naissance à la forme mérovingienne de la chevalerie chrétienne.

    Deux siècles passent de nouveau, l’effet d’entropie se fait sentir, il faut RE-FORMER, c’est dans le cadre du VIIème concile œcuménique en 742 et aboutira en 803 à la prise de Barcelone aux dépens de la poussée musulmane. Ce sera l’œuvre de la chrétienté carolingienne qui plus tard se « typifiera » sous la forme de Gérard de Roussillon et de Roland à Roncevaux (778).

    Le temps s’en va de nouveau, il faut spécifier la fonction ecclésiale de la chevalerie, elle deviendra le fer de lance de la Paix et Trêve de Dieu proclamée au cœur des assemblées du Puy en 990, de Narbonne et Charroux en 987. Les prototypes de ces chevaliers seront Guillaume d’Orange et Vivien.

    Le cœur de la RE-FORME : St Benoît d’Aniane et le grand pèlerinage de purification de St Jacques de Compostelle et la F.S. (Fraternité sainte).

    Plus au nord en Senouais, la résistance à la poussée musulmane avait, fixé sa tradition dans le monastère de Ste Colombe, près de Sens.

    Fille d’un prince d’Espagne sous Aurélien, elle eut pour défenseur une ourse et après avoir échappé à l’incendie de sa prison, elle consomma son martyre par la décapitation.

    Ce qui est certain, c’est que ce monastère fut un haut lieu de la dynastie mérovingienne et que le fils de Frédégonde, Clotaire II et sa descendance en prit soin.

    Sainte Colombe et l’abbé Eban (+ 750) fut à l’origine de la victoire obtenue en 737 devant les murs de Sens contre des bandes d’Abd er Rahman.

     

    C'est pour Aile que je Mors !

     

    Les Pépinides 

    Charlemagne prit grand soin aussi en hommage insigne de lui donner la calotte d’Alcuin.

    Capitulaire d’Aix-la-Chapelle, 897

    Benoît d’Aniane, fils du comte de Maguelone, 750-820

    En 847 apparaît Bernard uni par lien de parenté à Charles le Chauve (Bernard est un nom de la famille du duc de Septimanie, ancienne Narbonnaise)

    Deux frères, Echard et Childéric, fils de Childebrand, comte du pagus Augusto du Nensis (Autun).

    Les noms qui sont employés en 850 montrent une filiation par la tradition des prénoms et elle est un indice qui fait remonter ce centre d’Autun par Thierry comte d’Autun, Childéric V fils de Brunehaut et Sigisbert 1er, Clotaire 1er à Clovis 1er et le ferait bien prince légitime mérovingien ;

    Quand Girard de Roussillon (+877) va intervenir, la lignée royale n’aura plus de protecteur et les conséquences de la bataille de Fontenoy-en-Puisaye de 841 se feront sentir.

    Et c’est pourquoi Charles le Chauve (840), essaiera avec Lambert le recteur et l’archevêque Wenilo de race royale de faire passer l’abbaye dans leurs biens fond (comme dépouille de princes royaux mérovingiens).

     

    Saint Loup de Ferrière arrivera à réduire la difficulté. 

    Wenilo essaiera en direction de Louis le Germanique en 858 et échouera en 859 au concile de Savinière près Toul. C’est lui qui voulut construire la basilique carolingienne et la consacra, autre manière d’effacer la légitimité royale des comtes d’Autun.

    858 – 764 ( plus ou moins)

    Ermyne de Balus, sœur de Berthe femme de Gérard

    A la suite du retour en force d’Alard

    L’histoire nous conduira par :

    Welf – 865 – 881

    Conrad VI -  888- 881 à Hughes l’abbé 882 – 886

    Issu de Conrad Guelfe de Bavière…. Comte d’Auxerre.

    Beau- fils de Robert le Fort, frère utérin de Eudes Ier et Robert Ier qui occupa le trône de France et pointe déjà avec la lignée usurpatrice des capétiens. S’il n’y avait plus de « Pépinide » ce qui est discutable, car il existait toute une branche issue de Lothaire, le roi d’Italie, comte de Vermandois, Roucy, etc…

    Ce n’est donc pas sans raison que le comte de Bourgogne avec Richard le Justicier, comte d’Autun, (Ealis II fille de Conrad II, fils de Conrad) revendique l’abbaye pour la faire retourner dans le bien fond de prince mérovingien, qui y place Betton Bheux, évêque d’Auxerre, mort le 24 février 918 ; il est inhumé aussi à Ste Colombe.

    Rodholphes 924 + 926

    A la mort de Raoul le duc de France va installer un vicomte originaire des Frémond en 942.

    Mais le comte de Reims (Rouy de Lothaire) le chasse comme intrus.

    Qui fut à nouveau reprise et c’est à la mort de Hugues Capet que les Frémond prirent le titre de comte (ou le reçurent en gratification de leur exploit).

    Ses descendants Renard, Frémond II et Renard II le Mauvais ne furent que plaies pour l’abbaye. Ce n’est qu’en 1015 que se termine cette engeance.

    Cerf Volant

    Robert le Pieux réunit le comté à la couronne.

    Nous voici revenus à la période de St Odilon.

    Wilerius Guillaume , 1048-1088

    Arnould fils du comte de Champagne (Vermandois) et frère de St Thibault.

    De là à Roscelinus = Roncelin 1100- 1139

    Puis à Théobaldus, Thibaut de Pahen ?? 1139-1146 ;

    Ce fut aussi le temps où à Pothière (monastère relevant de la seule papauté) se composa la deuxième version de la « Vita Girardi » (vie de Gérard de Roussillon) cousin de St Guillaume.

    -       Gérard y apparaît comme un défenseur de l’héritier légitime.

    -       Un loyal vassal qui va jusqu’à laisser prendre ses biens pour défendre la veuve et l’orphelin.

    -       Un fidèle serviteur de l’Église qui lui fait restituer tous les biens usurpés par des puissances laïques.

    -       Qui préfère refuser l’affrontement sanglant quand il sait que la lutte est inutile.

    -       Qui finit saintement ses jours en fondation pieuse à Pothière.

    -       Un chevalier véridique.

    Il est vrai que la légende déforme beaucoup les personnages, mais la connaissance historique de l’authentique Gérard de Roussillon, issu des rois mérovingiens et allié des Carolingiens et Capétiens, montre un homme droit comme une épée qui est le fléau de la balance des différentes branches des races royales.

    Partant de cette vie, on peut comprendre le pourquoi de la halte qu’y fera Ste Jeanne d’Arc en ce monastère de Pothière.

    Autre enseignement de ce « Vita Girardi » : c’est d’autre part la donation à St Pierre des monastères de Pothière et Vézelay, il donne le modèle repris pour Cluny et bien d’autres plus tard.

    Ce sera le moyen de mettre à l’abri des convoitises séculières des lieux sacrés importants.

    C’est le procédé qui sera suivi  pour le bien de la fondation de Bure dont le territoire sera ainsi soustrait à la convoitise du duc capétien de Bourgogne et des comtes palatins de Champagne pour être donné à une chevalerie qui ne relève que de Dieu et du pape déjà au centre de la chevalerie qui deviendra plus tard celle du Temple.

    Ce qui est émouvant aussi est le dernier vers de l’épitaphe de son tombeau primitif à Pothière, il retentit comme le son du cor, comme une prophétie :

    « Heu moriens tecum traxisti pendera rerum »

    « Héla, ta mort a rompu l’équilibre du monde »

    Cette mort du chevalier parfait en 877 n’est-elle pas l’annonce de la mort d’une chevalerie trop parfaite pour le monde qui naissait en 1307 ?

     

    Le Viaticum

     

    Évènement de Pothière 1069-1070

    En dehors de la légende de Girard de Roussillon, un autre évènement dans le milieu patricien avait fait du bruit.

    C’était la conversion à l’ordre des charbonniers de plusieurs des leurs, dont le moindre n’était pas St Thibault, fils du comte Arnould de Champagne.

    Né en 1017, quittant à vingt ans le monde en 1037 en Souabe fuyant jusqu’à Vicence (Italie) où la mort le prit le 30 juin 1066.

    Et mieux encore où entre 1077-1080, Simon, comte de Crépy-en-Valois, abandonne son comté de Valois de Vexin. Son père n’était autre que Raoul III de Valois et Bar-sur-Aube qui pilla l’abbaye de Pothière au milieu du XIème siècle. Le chroniqueur Thibault de Marly écrit qu’il devint charbonnier, le plus humble des métiers, tel ordre il choisit.

    En 1073, Arnould, moine de Sainte Colombe de Sens avait pris le baluchon et la panetière et, muni de la bénédiction de son abbé, avait pris la route de Vicence.

    Ce ne fut qu’en 1078 qu’il revint, ramenant les reliques de son frère St Thibault.

    C’est alors que près d’Auxerre une chapelle où reposa son corps prit le nom de St Thibault des Bois. A Joigny une église lui fut consacrée et près de Saulieu au pied de Charny se trouve encore la chasse de St Thibault dans la célèbre église gothique qui sera bâtie au début du XIIème, bien après par les compagnons du devoir. Des pèlerinages discrets s’y font encore aujourd’hui.

    Sens et Ste Colombe reçurent son corps avec magnificence et son frère Arnould devenu abbé, pour contenir la foule qui se pressait pour visiter les reliques, fit bâtir une petite chapelle entre l’abbaye et le faubourg St Didier. Cette chapelle sera rasée par les protestants au XVIème et la croix qui la remplaça disparut au XVIIIème.

    Sous l’influence des grands abbés clunisiens sous la règle de St Benoît, la chevalerie va prendre la forme que nous lui connaissons par l’histoire.

    Ce fut d’abord St Odilon (994 à1049) , « le Roi Odilon » comme aimait à plaisanter Adalbéron de Laon qui n’était pas lui-même un exemple de rectitude morale et moins encore chevaleresque. Odilon vivait entouré de « Miles » ; il en était arrivé à la certitude qu’il fallait en revenir aux « principes » de la Chevalerie et que face aux « Ribat » musulman il fallait opposer une chevalerie chrétienne. Pour ceci, il fallait mettre en place et en contact les forces vives face à face.

    Ce fut, depuis 732, la quatrième ou cinquième expédition en Espagne qui permettra d’en affiner les principes, travail auquel participera activement St Hugues (1049-1109), issu des comtes de Semur-en-Brionnais, qui était aussi comte palatin de Châlon-sur-Saône ; il avait lui-même reçu dans sa jeunesse le « cingulum militiae » (Vita Hugonis par Hildebert de Lavardin, P.L.159 - col860) et probablement parent des Roucy par sa mère Aremberge.

    L’expédition d’Espagne qu’il prépara fut la conséquence de la prise de Santiago (St Jacques de Compostelle en 977 par Al Mansour ( +  1031)

    On trouvera mention d’une école chevaleresque en 1060, c’est celle de Ilduin de Roucy, comte de Reims et frère de Brun de Roucy, évêque-comte de Langres. Leur filiation remontait au Roi Lothaire ; il était, lui aussi, entouré d’une grande quantité de chevaliers qui le servaient avec dévouement. Nous trouvons cette mention sous la plume de Suger, ami des capétiens et ennemi des descendants carolingiens. (Vie de Louis VI le Gros, 1081-1087).

    Ilduin lui-même se livrait souvent aux exercices de chevalerie dans lesquels il était passé « MAITRE ». Ses exploits avaient attiré autour de lui une armée de chevaliers, une armée digne d’un Roi (l’envie est ici très nette dans le camp capétien qui usurpa le pouvoir depuis la forfaiture de Senlis). Tous ces guerriers étaient animés d’une égale ardeur au combat, comme leur chef ; ils éprouvaient des transports d’allégresse en s’équipant pour la bataille… Suger ajoute : « Leur chevalerie ne leur servit de rien contre le roi Louis VI car ils furent battus ».

    Mais St Hugues de répliquer en 1060 à la suite de cette défaite devant le Concile d’Autun par ces fortes paroles chevaleresques prononcées à la fin des années de guerre qui ravagèrent les marches de Lotharingie et de France durant cinquante ans (1010-1060) :

    « Que ceux qui veulent la paix et craignent Dieu nous écoutent et nous secondent. Que celui qui n’est pas fils de paix se retire d'au milieu de nous, je le lui ordonne car il est fils de l’Ennemi de Dieu, s’il met obstacle à l’œuvre du Ciel ».

    Cette paix acquise au prix de nombreuses concessions, Hilduin de Roucy et ses beaux-fils purent entreprendre de venger l’assassinat de Ramires Ier d’Aragon devant le siège de Grados en 1063. Le pape Alexandre II préconisa lui-même cette expédition punitive. Hilduin partit donc en compagnie d’André de Romerupte et du Seigneur d’Arcis, ses beaux-fils. Ils retrouvèrent Guy Geoffroy, comte de Perche, Hugues de Clermont en Beauvoisie, Thibaut comte de Reynel, Godefroy de Guise du comté de Cluny et Foulque fils de Renault comte de Bourgogne Franche. Cette expédition aboutit à la prise de Barbastro en 1064.

    Thibaut, comte de Semur-en-Brionnais et de Châlon-sur-Saône, parent de St Hugues de Cluny, y prend part aussi ; il y trouvera la mort en 1065 à Tolosa-en-Biscaye et ses compagnons ramèneront son corps à Paray-le-Monial au tombeau de sa famille. La même année disparut aussi Hilduin de Roucy.

    Pendant que ces expéditions remplissaient de fracas des armes le silence des déserts d’Espagne, au doux pays de France il se passait les évènements réjouissants que voici :

    Pour les capétiens, la chevalerie demeurait plus difficile que la langue des hébreux. Pour eux, les commandements qui semblaient de mode étaient :

    « Entretuez-vous les uns les autres pour usurper le pouvoir et vous y maintenir »

    « Malheur aux vaincus, ce sont des faibles, accaparons leurs biens et spolions les veuves et les orphelins, puis tuons-les ».

    C’est tout le moins l’exemple que donnait le premier duc capétien de Bourgogne Robert Ier : il commença par répudier son épouse légitime Hélie de Semur, empoisonna son beau-père Dalmare, héritier des anciens ducs des carolingiens, et pour faire bonne mesure, assassina le plus jeune fils qui n’était autre que le frère de St Hugues, l’abbé de Cluny, élevé par lui dans la tradition de l’authentique chevalerie. Il le montrera pour lors.

    La mesure était comble : Robert Ier fut excommunié. Un concile fut réuni à Autun en 1060 sous la présidence de St Hugues et Agathon de Mont St Jean abbé d’Autun.

    L’archevêque de Lyon et tous les évêques de la province y vinrent.

    Ne recherchant nulle vengeance, St Hugues ne rechercha que deux choses :

    -       la première récupérer son neveu le jeune duc, pour l’élever selon l’éthique de l’Ordre chevaleresque,

    -       la seconde remettre celle-ci en valeur en lui donnant un champ d’application nouveau, en Espagne jadis chrétienne qu’elle avait mission de reprendre à l’Islam. C’est ce que nous avons vu.

    Une politique de mariage y fut jointe : ainsi on verra le comte Sanche Ramirez (futur roi d’Aragon – Navarre) épouser Félicie, sœur d’Elbe de Roucy, Maître de la Chevalerie ;

    Foulque, beau-frère de ce même Elbe de Roucy être l’aide du comte Amaour, tige du futur roi de Castille – Léon.

    Une autre affaire avait défrayé les chroniques de l’époque en 1069 :

    L’évêque de Langres de 1065 à 1085, Hugues Raynald de Bas Seine comté de Tonnerre connu aussi sous le nom de Hugues de Langric, sur un coup de colère venait de brûler et détruire village et abbaye de Pothière, qu’avait fondé son ancêtre le célèbre Girard de Roussillon (du moins le tenait-il pour tel).

    Le carnage terminé et l’incendie éteint, constatant qu’il venait de détruire les preuves de sa filiation, il se repentit … un peu tard, après avoir « séjourné » dans une tour.

    Le pape le réclama, il prit le pari qu’il avait là l’homme qui lui fallait pour travailler à la réforme chevaleresque. Il le fit venir à Rome et lui enjoignit d’allier ses efforts avec ceux de St Hugues de Cluny.

    En 1070, le pape écrivait à St Hugues « Agissez avec l’avis et les prudentes dispositions de l’évêque de Langres, car nous savons qu’il a, dans ces derniers temps, promis d’être en tout un fidèle auxiliaire non seulement pour nous mais pour tous nos légats, et nous avons en lui beaucoup d’espoirs et de confiance » (Don Bouquet, t. XIV, p. 605).

    A son légat, l’évêque de St Dié, le pape enjoindra : « Entendez-vous avec l’évêque de Langres pour réunir un concile ».

    Celui-ci eut lieu en 1077, commença à Dijon mais la session du mois de septembre pour la St Mathieu eut lieu à Autun, où la St Michel fut célébrée en grande solennité.

    Nous l’avons vu plus haut, Hilduin de Roncy disparu, son fils Elbe avait pris la relève. Le pape écrivait alors s’adressant aux princes agissant en Hispagnie « Vous n’ignorez pas , sans doute, que le royaume d’Espagne a anciennement, de droit, appartenu à St Pierre et qu’aujourd’hui encore, bien qu’il soit occupé par les païens, ce droit reste imprescriptible, donc il ne peut dépendre d’aucun pouvoir, si ce n’est du siège apostolique...

    ...le comte Elbe de Roncy, dont la renommée a dû parvenir jusqu’à vous, désirant entrer dans ce pays pour l’honneur de St Pierre (c’est pourquoi ils prendront la « clef » pour insigne) dans le dessein de l’arracher aux mains des païens, a obtenu du St Siège apostolique qu’il possèderait du chef de St Pierre, sous les conditions arrêtées entre nous, les terres d’où il réussirait, par son courage et celui de ses alliés, à expulser les infidèles. Que quiconque parmi vous voudra l’aider dans cette entreprise soit animé « pour l’honneur de St Pierre », de sentiments tels qu’il attende de lui protection dans le péril et qu’il reçoive de lui la récompense due à sa fidélité. »

    Cette deuxième expédition, après l’an mil, eut lieu courant 1077. Il était urgent d’aider Sanche Ier d’Aragon, beau-frère d’Elbe de Roncy, dont le propre père venait d’être très proprement écorché vif par les très civilisés et tolérants musulmans d’alors.

    Participeront à cette expédition Henri Hugues de Bourgogne, mari de Sybille de Nevers. Elle eut pour résultat la prise du royaume de Navarre en 1078 et se termina en 1079-1080, date à laquelle le jeune duc se retirera à Cluny sous la direction de son oncle St Hugues, après avoir passé le duché de Bourgogne à son frère Eudes. Il se fit moine à Cluny.

    Pendant que ces expéditions remplissaient de fracas des armes le silence des déserts d’Espagne, au doux pays de France il se passait les évènements réjouissants que voici :

    Si chacun suivait son exemple, la situation deviendrait encore pire, car si tous les bons chevaliers en faisaient autant, qui resterait pour protéger les pauvres du monde ? Grégoire VII comprit le danger et tonna contre le « rapt » d’un bon prince qui laissait cent mille chrétiens sans gardien ; oubliait les gémissements des pauvres, les larmes des veuves et les cris des orphelins, provoquait la désolation des églises sans protecteur, la douleur et le murmure des prêtres sans défenseur »

    La nécessité de mettre au point une institution qui permettrait aux bons princes et chevaliers d’allier la vie régulière des fils de St Benoît et celle de la fonction chevaleresque devenait patente.

    Hugues Rainald, évêque de Langres pour se faire pardonner Pothière détruit, prit la balle au bond. Il offrit alors (1072) tout ce qu’il possédait en « Albaniaco » (à savoir Bure, Terrefondu, la Bresse (la forêt) le Val d’Arce, ainsi que nous l’enseigne la bulle pontificale d’Innocent II rappelant en 1142 à Robert, Maître de la Chevalerie du Temple, l’origine de ces biens.

    Pour l’instant, ces terres avaient été données à ceux qui étaient les « chevaliers » et se couvraient de gloire en Espagne.

    En Espagne, du fait qu’ils portaient une clef rouge sur un habit blanc, ils étaient plus connus sous le nom de « chevaliers de St Pierre », « chevaliers blancs », du nom de leur territoire d’origine (Albeniensis), ce qui aurait dû se dire « chevaliers de l’Ource » ; ils furent aussi connus du fait de la nouveauté de leur comportement « novi miles » nouveaux chevaliers ou chevaliers de St Georges, portant la croix des torques.

    Ils participaient ainsi à la 3ème expédition qui eut pour raison d’aider Alphonse VI, beau-frère de Hugues Henri ancien duc de Bourgogne. En 1080, cette nouvelle offensive fut lancée, elle aboutit à la prise de Tolède en 1085. Mais à la suite de divers revers, la plupart des français rentrèrent en leur pays en 1087.

    Il fut nécessaire de réorganiser les forces détruites. Aussi, Urbain II champenois (Eude de Lagny) décida de l’objectif : Huesca, en 1089. L’opération fut longue et périlleuse et ce n’est qu’en 1094 que Huesca sera attaquée. Sanchez Ramirez y trouvera la mort et la ville sera prise en 1096 avec l’aide de Pierre Ier de Navarre Aragon. En 1101, Barbastro sera reprise et Saragosse en 1118.

    C’est durant ces cinquante années que se préparera ce que l’Église allait reconnaître en 1127 au concile œcuménique de Troyes en Champagne et que l’institution sera connue sous le nom de « chevaliers de la cité sainte, chevaliers du Christ, chevaliers de la Trinité, puis pauvres chevaliers du Christ et de la Sainte Trinité, puis chevaliers du Temple de Salomon et familièrement « Templiers ».

    On comprendra ainsi la raison profonde de la donation du roi Béranger de son royaume à l’Ordre de chevalerie, représenté alors par le grand Ordre hiérosolémitain d’alors.

    Après bien des vicissitudes, ils verront le couronnement de leurs efforts confirmé par la première règle de chevalerie régulière ratifiée par un concile…

    Vers 1132, St Bernard se décidera enfin à écrire le « De laudae Militiae » et la renommée étant enfin assurée à la fondation hasardeuse du début, nombreux seront ceux qui voleront au secours de la victoire.

    Puis, en 1134 le concile de Pise en donnera la forme définitive.

    Certaine institution qui à l’origine n’était qu’hospitalière se fera chevaleresque : c’est le cas des Hospitaliers de St Jean de Jérusalem, aujourd’hui connus sous le nom de Chevaliers hospitaliers de Malte.

    D’autres naîtront avec un avenir plus ou moins grand devant elles, plusieurs se fondront aux « Templiers », par exemple l’Ordre de Montjoie en 1189, l’Ordre de Trujillo en 1198.

    D’autres naîtront des difficultés pour l’Ordre du Temple : prendront la Règle de St Benoît et les usages cisterciens comme Calatrava en 1152, les Portes-glaives de Livonie, du Christ de Dobrinz, St Benoît d’Aviz ; d’autres prendront la règle de St Augustin (Santiago 1179) ; d’autres une règle mixte comme les Chevaliers Teutoniques (1154).

    Des 7 Vies

    Et la RECONQUETE continuera.

    En 1453, la couronne d’Espagne tentera une mainmise sur les Ordres « pour en assurer la perpétuation ad vitam aeternam ». (fin de la « réserve »)

    Le Concile de Trente amènera une REFORME qui ira dans le sens de la sécularisation ou d’un durcissement aristocratique. Ce sera pour les Ordres en Espagne le statut « Los Ordones militares » et pour les chevaliers hospitaliers de Malte le code Rohan (encore en vigueur pour eux en sa plus grande partie, sauf les nouvelles constitutions conciliaires après Vatican II)

    En Occident, la Renaissance prétendue mêlée aux erreurs de la Réforme protestante n’arrangera pas les affaires chevaleresques et donnera naissance à des branches protestantes de l’Ordre de St Jean : St John Ordre, Prieuré de Brandebourg, pour les Teutoniques le bailliage d’Utrecht.

    Si l’on y voit encore d’authentiques chevaliers de St Pierre, tel Jean d’Autriche vainqueur de Lépante le 15 octobre 1543, où s’illustra l’authentique chevalier Cervantès qui y perdra un bras ; il se verra obligé d’écrire « Don Quichotte » contre les déformations de l’ordre chevaleresque.

    On y verra aussi le vaillant chevalier Bayard, sans peur et sans reproche, père chevaleresque de François Ier.

    Mais le plus clair de l’esprit du concile de Trente fut qu’il stérilisa l’institution qui devint, dans les mains des souverains créant des « compagnies d’honneur » un instrument de chantage et font que deux siècles plus tard du hochet aux mains des princes et aujourd’hui un instrument de gloriole et de vaine gloire.

    Le Feu de l'Or

     Fondement juridique de l’ordre chevaleresque

    Effectuons une conversion de plusieurs siècles en arrière et revenons à l’époque la plus néfaste de l’histoire européenne (l’expression est d’un historien célèbre).

    Revenons au début du XIVème siècle et écoutons ce qu’un chevalier a retenu de l’enseignement de son père jadis page avec Jacques Ier d’Argon de Majorque et Minorque, élèves en la forteresse templière de Mouzon de 1207 à 1217, par Guillaume de Montredon, devenu le bienheureux Raymond Lulle a transmis cette tradition reçue par son père.

    Il l’écrivit dans un livre le « De caballeria ». Nous nous en servirons pour nous guider sur les traces de l’authentique chevalerie.

    Raymond Lulle 25 janvier 1232-1315 issu de la famille maternelle de Heril (Herail) qui donna un maître du Temple Gilbert Héril (Herail : noblesse catalane).

    Extrait du chapitre Ier de « L’Ordre de chevalerie » Raymond Lulle circa 1320 :

    « Il arriva en cette terre, qu’un sage chevalier, qui, par la noblesse et la puissance de son courage avait longtemps maintenu l’ordre de chevalerie, qui avait en maintes guerres et batailles, ou joutes et tournois, eut maintes glorieuses victoires.

    Lorsqu’en sa lucidité ; il pensa et vit qu’il ne pourrait plus longtemps vivre, puisque, par le cours de la nature, celui qui a vécu de longs jours est près de sa fin, ce chevalier élut vie érémitique, puisqu’en lui la nature défaillait et qu’il n’avait plus, à cause de la vieillesse, pouvoir ni force d’user des armes de chevalerie ainsi qu’il l’aurait voulu.

    Ainsi donc, laissa sur place à ses enfants ses fiefs d’héritage et toutes ses richesses.

    Puis, en un grand bois abondant en eaux de source et en grands arbres de diverses manières portant des fruits, il fit sa maison.

    Pour que la faiblesse de son corps où la vieillesse l’avait fait tomber ne le déshonore pas, il fuit le monde où en d’honorables égards, en sages et aventureuses actions il avait été honoré.

    Ce chevalier se rappela le passage de ce siècle dans l’autre, en pensant à la mort, il lui souvint la redoutable et éternelle sentence en laquelle Notre Seigneur conviendra de nous rappeler au jour du jugement redoutable. Il se souvint du « Memento finis ».

     

    En une partie de ce bois, il y avait un beau pré au milieu duquel poussait un pommier bien chargé de fruits.

    Donc, à l’époque des fruits le chevalier vint vivre en la forêt dite Automne.

    Dessous ce pommier, ruisais (sourdait) une fontaine très belle et claire, elle arrosait le pré et les arbres qui l’environnaient.

    En ce lieu, le chevalier avait pris coutume de venir tous les jours pour y adorer et prier Dieu ; il Lui rendait grâce pour l’honneur et les bienfaits qu’en ce monde Il lui avait fait tous les jours de sa vie.

    En ce temps aussi, à l’entrée d’un fort hiver, il advint qu’un Roy très noble et sage, plein des bonnes traditions, fit savoir à la multitude des nobles qu’il voulait tenir grand court. Par la publicité qui fut faite par toute la terre au sujet de cette assemblée, il advint qu’un jeune écuyer décida d’y aller, avec l’intention d’y être reçu comme un nouveau chevalier.

    Aussi, comme il allait tout seul en chevauchant sur son palefroi. Or comme il avait fait déjà un long voyage, tout en chevauchant il s’endormit sur son cheval. Alors que l’écuyer tout en dormant chevauchait, le palefroi changea du chemin normal et entra en la forêt où se trouvait le chevalier.

    Tant alla par la forêt qu’il arriva à la fontaine. C’était l’heure où le chevalier qui demeurait au bois pour y faire pénitence, pour prier et adorer Dieu y était venu.

    Il méditait sur les vanités du monde qu’il faut mépriser, c’était ce qu’il avait coutume de faire chaque jour.

    Quand il vit venir l’écuyer endormi sur son cheval, il laissa là son oraison et sa méditation. Il s’assit à l’ombre d’un arbre du pré et commença à lire en un livre qu’il gardait en sa poche.

    Le cheval parvint à la fontaine et commença d’y boire. L’écuyer qui dormait légèrement sentit que le cheval n’avançait plus, aussi s’éveilla-t-il.

    Il vit alors devant lui le chevalier très vieux. La pénitence qu’il effectuait le rendait très maigre et pâle, ses yeux s’étaient abîmés par les larmes qui en jaillissaient. Avec sa grande barbe blanche, ses longs cheveux, sa mauvaise robe usée et déchirée de vieillesse, il avait, au regard, l’aspect d’un homme de sainte vie.

    L’un et l’autre s’émerveillèrent beaucoup.

    Le chevalier parce qu’il n’avait vu aucun homme en son ermitage depuis le temps où il avait laissé le monde, il y avait longtemps.

    L’écuyer, lui, parce qu’il s’étonnait fermement de se voir en ce lieu et comment il y était parvenu.

    Enfin, l’écuyer descendit de son cheval et salua le chevalier.

    Très calmement le chevalier l’accueillit, puis ils s’assirent l’un près de l’autre. L’un regarda l’autre en face avant que nul d’entre eux ne parla.

    Le chevalier s’aperçut vite que l’écuyer ne voulait pas parler le premier, par révérence et pour lui faire honneur. Il parla donc le premier et lui dit :

    (cérémonial d’admission des pages 1er degré du Temple)

    « Bel ami, où allez-vous ? Pourquoi êtes-vous ici ? Quel est votre désir et votre courage ? Que voulez-vous ? »

    « Sire, dit l’écuyer, la rumeur est parvenue de terre lointaine, qu’un très sage et noble roi a convoqué une assemblée générale en laquelle il veut lui-même devenir « nouveau chevalier » ; ensuite il y adoubera d’autres barons éloignés ou proches qui le deviendront aussi. C’est pour cette raison que je m’en vais à cette assemblée, car je désire être un nouveau chevalier. Mon pallefroy s’est détourné du droit chemin quand je me suis endormi par grande fatigue du voyage que j’ai fait et il m’a apporté en ce lieu ».

    Quand le chevalier entendit parler chevalerie, il lui souvint de son Ordre et des devoirs qui lui appartiennent. Il poussa un long soupir et entra en grande méditation, se souvenant de l’honneur en lequel la chevalerie l’avait longtemps maintenu.

    Pendant qu’il méditait ainsi, l’écuyer lui demanda ce qui le rendait pensif.

    Le chevalier lui répondit :

    « Beau fils, ma pensée c’est l’ordre de chevalerie, la grandeur en laquelle le chevalier doit se maintenir pour garder le haut honneur de la chevalerie. »

    Alors, l’écuyer pria le chevalier de lui dire de quelle manière il pourrait le mieux garder et honorer l’Ordre et le haut honneur qui, selon la volonté divine, lui revient.

    « Comment, dit le chevalier, ne sais-tu pas quelle est la Règle de l’Ordre ? Comment peux-tu oser ainsi la chevalerie sans que tu saches quelle est sa Règle ?

    Nul ne peut maintenir chevalerie s’il ne sait la Règle ! Nul ne peut aimer l’Ordre ni ce Qui lui appartient s’il ne sait la règle de l’Ordre chevaleresque. Nul ne le peut s’il ne connaît les défauts qu’il faut éviter, maintenir son honneur et éviter les fautes que l’on fait contre l’Ordre.

    C’est pourquoi, nul ne doit créer de chevalier, si par lui-même il ne sait appliquer la règle de l’Ordre chevaleresque.

    Car militaire sans règle est celui qui croit faire des chevaliers et ne sait leur transmettre la règle et les coutumes de l’Ordre chevaleresque. »

    Quand le chevalier eut dit ces paroles et repris l’écuyer qui demandait la chevalerie sans savoir ce qu’elle est, l’écuyer répondit :

    « Sire, s’il vous plaît, je vous en supplie, pouvez-vous et voulez-vous me dire la Règle des chevaliers ? Car, par le grand désir que j’en ai, il me semble que je l’apprendrais bien et selon mon pouvoir je suivrai bien la règle et les coutumes de chevalerie, s’il vous plaît de me les apprendre. »

    « Bel ami, dit le chevalier, la règle de chevalerie est écrite en ce livret que je tiens ; je le lis parfois pour qu’il me fasse souvenir la bonté et le bienfait que Dieu me fit en ce monde où je maintenais et honorais l’Ordre, de tout mon pouvoir. Car le chevalier doit donner toutes ses forces, corps et âme, pour l’honneur de la chevalerie, alors de la même manière la chevalerie donnera à son chevalier toutes les grâces qui lui appartiennent. »

    Alors le chevalier donna le livret à l’écuyer et quand il eut lu dedans il apprit que :

    « Seul est chevalier celui qui est choisi entre mil pour avoir cet office  (service) le plus noble »

    Lors donc qu’il eut compris la règle et les coutumes de l’Ordre, alors il réfléchit un peu et dit :

    « Ah ! Sire, vous êtes bon de m’avoir amené en ce lieu. J’ai enfin connaissance de ce que j’ai si longtemps désiré, alors que je n’en connaissais pas la noblesse et l’honneur que Dieu a mis dans cette règle et en tous ceux qui la suivent et sont de l’ordre chevaleresque. »

    Le chevalier dit alors :

    (cérémonial d’admission des pages 3ème degré du Temple)

    « Beau et doux fils, je suis si vieux que désormais je ne puis vivre beaucoup plus. J’ai composé ce livre afin de faire retrouver aux chevaliers la loyauté et la dévotion envers la règle et les coutumes de l’Ordre s’ils veulent tenir état de chevalerie.

    Vous prenez-le et portez-le en l’assemblée où vous allez. Montrez-le à tous ceux qui voudront être « nouveaux chevaliers ». Lorsque vous retournerez en votre terre, passez en ce lieu.

    Vous me direz les noms de ceux qui ont été ordonnés comme « nouveaux chevaliers », de ceux qui auront juré obéissance à la doctrine de l’authentique chevalerie. »

    Le chevalier lui transmit alors sa bénédiction.

    L’écuyer prit le livret, très respectueusement pris congé du chevalier, monta sur son pallefroy et très rapidement s’en alla à l’assemblée.

    Quand il y fut arrivé, il présenta au roi le livret, le lut par ordre très calmement et proposa que tout homme noble qui voudrait être admis en l’Ordre puisse en avoir copie afin qu’il sache et voit en le lisant ce qu’est l’Ordre de chevalerie.

    Clares

    Le commencement de la chevalerie 

    Quand au monde faiblirent la charité (amour) et la justice, la loyauté et la vérité, alors commencèrent cruauté et injustice, déloyauté et mensonge. Par ceci fut trouble et mis dans l’erreur le monde où Dieu avait créé l’homme dans l’intention d’en être connu et aimé, craint, servi et honoré par lui.

    Quand dans le monde aux origines fut venu le mépris de la justice par manque de charité (d’amour) il devint nécessaire que par la crainte la justice retourna en la place d’honneur où la bonne coutume doit la mettre.

    Pour cette raison, le peuple fut divisé par milliers et dans chaque « millier » fut choisi un homme qui devait être : plus sage, plus loyal, plus fort et notoire courage qui était mieux instruit des bonnes coutumes plus que tous les autres.

    A cet homme choisi entre MIL HOMMES on donna pour cette raison le nom de MILES.

    Puis après, l’on chercha quelle était la bête la plus adaptée et la plus belle, la plus vive et la plus puissante pour soutenir le labeur, et qui soit la plus habile à servir l’homme.

    On trouva qu’il était notoire que c’était le cheval ! Pour cette raison, l’homme choisi entre mil choisit le cheval et l’on donna ainsi à cet homme, à cause de la bête à laquelle il était « allié », le nom de CHEVALLIER ou CHEVALIER.

    Quand au plus remarquable des hommes fut donnée la plus remarquée des bêtes, on convint que l’on choisit de toutes les armes celles qui sont les plus remarquables et les plus convenables pour, dans la bataille défendre un homme de la mort.

    Celles-ci furent alors données et attribuées au chevalier.

    Quiconque veut donc entrer dans l’ordre de chevalerie doit se souvenir et réfléchir au remarquable commencement de la chevalerie.

    Il lui est nécessaire que pour s’accorder aux origines de la chevalerie soient remarquables son courage et ses bonnes (habitudes) qualités.

    Car s’il n’en était pas ainsi ce choix serait contraire à l’origine de l’ordre de chevalerie.

    Pour cette raison, il ne convient pas que l’ordre reçoive en son sein, par révérence de son origine, des individus qui en sont le contraire.

    Amour et crainte s’allient contre la haine et le mépris; pour cette raison il convient donc que le chevalier soit remarquable par son courage et ses bonnes qualités, pour que lui soit reconnu le très grand honneur qui lui est fait de son choix.

    Il convient que par sa charité et sa justice il fut aimé et craint du bas peuple pour que celui-ci retrouve la charité et la loyauté.

    Il convient que par ses armes et par son cheval il enseigne la crainte aux méchants et leur fasse retrouver la vérité et la justice.

    Telles sont les conditions premières pour accéder à la chevalerie.

     

    2 Jours et 2 Nuits

     

    Transmission de l’ordination ou l’adoubement 

    De quelle manière l’écuyer doit-il recevoir l’ordination de chevalerie ?

    Dès lors qu’un écuyer veut rentrer dans l’Ordre de chevalerie, il convient :

    -       Qu’il confesse à un prêtre les fautes faites contre Dieu et qu’il en reçoive l’absolution.

    -       Que son intention soit de recevoir la chevalerie seulement dans le désir de servir et honorer par celle-ci Notre Seigneur Glorieux.

    -       Qu’il reçoive, s’il est purifié du péché, le corps de Jésus-Christ.

    -       Qu’il ait été examiné sur les règles et coutumes de l’Ordre.

    Parce que pour les grandes fêtes c’est à savoir : Noël, Pâques, Pentecôte ou un jour solennel, beaucoup d’hommes se rassemblent en un lieu, il convient :

    -       qu’en ce lieu l’écuyer soit adoubé comme chevalier.

    -    Que tous les hommes rassemblés prient Dieu pour qu’Il donne à l’écuyer grâce et bénédiction par lesquelles il sera toute sa vie loyal membre de l’Ordre chevaleresque.

    L’écuyer doit jeûner la veille de la fête en l’honneur de qui c’est la solennité le jour où il recevra la chevalerie.

    La nuit précédent celle-ci, il doit aller à l’église y veiller et prier toute la nuit et y être encore en prière devant que se lève le jour durant lequel il doit être adoubé comme chevalier.

     

    Qu’il n’écoute en cette veille ni les jongleurs, ni les conteurs, ni les musiciens qui parlent de putinerie ou des péchés, s’il agissait ainsi dès le commencement de sa chevalerie, il déshonorerait et mépriserait la règle de l’Ordre.

     

    Il convient aussi qu’au lendemain du jour où il a été ordonné, on chante une messe solennelle d’action de grâce. Le « nouveau chevalier » viendra devant l’autel et s’offrira à Notre Seigneur par devant le prêtre qui en tient lieu, à l’Ordre de chevalerie. Il convient aussi qu’alors il s’oblige et se soumette par serment à honorer de tout son pouvoir l’Ordre de chevalerie.

     

    Raymond Lulle ne dit pas tout !

    Il passe sous silence que le rituel demande plusieurs jours, bien qu’il le sous-entende.

    Les actes passés sous silence sont symboliques :

    -       celui du premier bain rituel dans l’ordre physique, qui comporte la déposition des habits d’écuyer et fait introduction au bain spirituel de la confession générale qui est la déposition formelle et volontaire des mauvaises habitudes afin qu’en naisse un homme nouveau.

    -       Celui des dernières instructions et la transmission du sens symbolique de l’action qui va être vécue par l’écuyer avant de naître chevalier. La signification cachée des armes qu’il va recevoir et dont il connaît déjà la finalité !

     

    Le reste bien sûr ne peut se transmettre par l’écriture, il faut le vivre, au matin dans la clarté quand le Seigneur est ressuscité.

    A l’origine il n’était permis à personne, même page ou écuyer, d’assister au rite, qui n’était réservé qu’à ceux qui l’avaient déjà vécu. De cet usage seule demeure « la veille » où le jeune écuyer est retiré du monde et la « veillée d’armes ».

    L’adoubement proprement dit est désormais public, bien que le mode en reste réservé.

    En gros, pour ceux qui regardent, il y a des gestes puis une formule qui n’est pas fixe :

    « Au nom de Monseigneur l’Archange St Michel,

    De Monseigneur St Georges,

    Moi, chevalier d’ordre……..je fais de toi

    Écuyer X… un nouveau chevalier »

    Ces paroles sont l’extérieur du rite. Pour qu’il soit valide et effectif, il faut que la volonté de l’ordinant soit bien de transmettre ce qu’il a reçu lui-même. Sans quoi l’effet est nul et non advenu.

    Seuls deux gestes sont nécessaires, tous les autres sont décoratifs : le fait de ceindre l’écuyer du « Cingulum militum » qui en est le premier, le second étant la « colée ».

    Le « Cingulum militum » c’est le baudrier particulier au MILES qui barre la poitrine de droite à gauche et fait reposer l’épée le long de la cuisse gauche. Son origine remonte aux âges les plus lointains. Il suffit pour s’en convaincre de jeter un coup d’œil sur l’iconographie ancienne dont nous disposons.

    C’est la marque particulière de porter l’épée qui distingue un chevalier d’un autre homme armé qui ne pouvait la porter qu’à la ceinture. Car cette disposition particulière a pour sens symbolique que celui qui la porte ainsi « est en charge » et qu’il porte l’épée en service commandé et de commandement. Sens qui se conservera encore de nos jours dans certaines armées séculières.

    Quand à la « colée », dite aussi « paumée », il faut l’avoir reçue pour en comprendre les effets. En tous cas ; elle est loin des petits signes mesquins dont usent certains qui ne semblent pas l’avoir reçue – avant 25 ou 30 ans, car l’usage nous enseigne que, passés ces âges, un fils de chevalier qui ne l’avait pas reçue redevenait un « rustici », c’est-à-dire quelqu'un de la base.

    Un exemple de l’enseignement qui était transmis durant la nuit en veillée d’armes et le jour suivant toujours selon notre ancien page (extrait du chapitre VI « De caballeria ») :

    «  L’épée est faite à la ressemblance de la croix, …Elle est donnée pour te signifier que, de la même manière dont Notre Sire Dieu Jésus-Christ vainquit la mort auquel l’humain lignage était condamné à cause du péché de notre premier père Adam, toi chevalier, tu saches aussi vaincre et détruire par l’épée les ennemis de la croix.

    Si l’épée est fabriquée « taillante » des deux côtés, c’est pour te signifier que tu dois avec celle-ci maintenir Charité et Justice : Justice est de donner à chacun ce qui lui est dû ; Charité de donner par pure gratuité. Or chevalerie t’est donnée pour maintenir Amour et Justice.

    Mais elle est aussi Loyauté et Vérité et c’est pourquoi elle doit te signifier la Parole du Verbe de Dieu dont tous les dires furent Vérité et Loyauté. Loyauté est de ne jamais renier sa parole et se parjurer ; Vérité est de ne jamais mentir. Et si sa lame est droite, c’est pour te signifier que Vérité est rectitude dans ses dires, comme Loyauté l’est dans ses actions et doivent faire taire toute fausseté.

    Bien sûr, il y a une explication pour chaque pièce de l’équipement chevaleresque et ces sens symboliques ont pour but d’être un aide-mémoire journalier pour le chevalier dans toute action quotidienne.

    Nous ne les aborderons pas maintenant, ceci fera l’objet d’une autre intervention.

    Brandelix

     


    [1]    Né le 6 juin à Auxerre mort le 1er mars 1781 à Paris, auteur de « Mémoires sur l’ancienne chevalerie »

    [2]    Né le 8 aout 1832 au Havre mort le 25 aout 1897 à Paris, Ses travaux scientifiques furent consacrés à l'histoire de la poésie épique du Moyen Âge en France, à la chevalerie et à la paléographie. Il est notamment l'auteur d'une édition de la Chanson de Roland (texte critique)

    [3]    « Le vray théâtre d'honneur et de chevalerie, ou le Miroir héroïque de la noblesse » (de : Marc de Vulson de La Colombière, ....-1658) , contenant les combats ou jeux sacres des Grecs et des Romains, les triomphes, les tournois, les joutes, les pas, les emprises ou entreprises, les armes, les combats à la barrière, les carrousels, les courses de bague et de la quintaine, les machines, les chariots de triomphe, les cartels, les devises, les prix, les vœux, les serments, les cérémonies, les statuts, les ordres et autres magnificences et exercices des anciens nobles durant la paix.

    [4]    Auteur de « Histoire de la chevalerie en France au Moyen Âge » (1949).

    [5]    (1886-1944) Auteur de « la société féodale